mardi 16 juin 2015

La Fontaine -Fables


Ok, il est dur d'évoquer la Fontaine sans revoir spontanément les récitations du primaire, à ânnoner comme un con "Le corbeau et le renard" sur une estrade face au reste de la classe. Pas un truc vers lequel on se re-tourne facilement étant adulte, quoi. Mais, mais, mais... Soudain Luchini survint (tin-tin-tin !). Luchini d'une part, le "vrai", puis Olivier Sauton, dans sa one-man-pièce improbable et géniale. Soit un type au physique très éloigné de celui du mec, mais qui en réussit l'imitation parfaite, et c'est sa voix, ses tics, ses textes de prédilection,... Bref, c'était prodigieux, et on y croisait entre autres une tortue et deux canards :

"Une Tortue était, à la tête légère,
Qui, lasse de son trou, voulut voir le pays,
Volontiers on fait cas d'une terre étrangère :
Volontiers gens boiteux haïssent le logis (...)"

Bon, c'est peu bandant comme ça, mais lu à voix haute et correctement accentué, c'est merveilleuxl. Et en fait on tient là le principal motif de (re ?)lire les Fables : la langue. Le verbe. Peu importe les morales, les précédents d’Ésope, les animaux choisis, les adresses aux princes,... . Les vers et leur agencement emportent de toute façon le morceau. Exemple avec La mort et le mourant :


"(...) Un Mourant qui comptait plus de cent ans de vie, 
Se plaignait à la Mort que précipitamment 
Elle le contraignait de partir tout à l'heure (4), 
           Sans qu'il eût fait son testament, 
Sans l'avertir au moins. Est-il juste qu'on meure 
Au pied levé ? dit-il : attendez quelque peu. 
Ma femme ne veut pas que je parte sans elle ; 
Il me reste à pourvoir un arrière-neveu ; 
Souffrez qu'à mon logis j'ajoute encore une aile. 
Que vous êtes pressante, ô Déesse cruelle ! 
Vieillard, lui dit la mort, je ne t'ai point surpris ; 
Tu te plains sans raison de mon impatience. 
Eh n'as-tu pas cent ans ? trouve-moi dans Paris 
Deux mortels aussi vieux, trouve-m'en dix en France. 
Je devais (5), ce dis-tu, te donner quelque avis 
           Qui te disposât à la chose : 
       J'aurais trouvé ton testament tout fait, 
Ton petit-fils pourvu, ton bâtiment parfait 
(...)"


Voilà. Et c'est beau, bien articulé, bien imbriqué vers après vers. Peu de fables sont intégralement parfaites sur ce point, mais dans chacune d'entre elles il y aura toujours deux ou trois vers bien fichus et chantants.

A les relire, c'est aussi une bonne occasion de redécouvrir à quel point les sentences du castelthéodoricien imprègnent encore tout ce qui porte plume, journalistes surtout. Les axiomes et sentences se retrouvent toujours et partout aujourd'hui (presse, titres d'essais,...), et je ne parle pas seulement d'"On a souvent besoin d'un plus petit que soi". Tant qu'à faire : "Patience et longueur de temps,..." "Plutôt souffrir que mourir...", "ventre affamé n'a point d'orelles, etc, etc, etc...

Enfin, ça coûte que dalle. C'est merveilleux.




Jean de la Fontaine, Fables, 2007 - Editions Flammarion, 538 pages

lundi 30 mars 2015

Terry Pratchett - Coup de Tabac

J'ai rédigé cette chronique avant le décès de Terry Pratchett, lequel m'a vraiment foutu les boules. Ca ne change rien à ce que je pense du livre, assez médiocre (pour un Pratchett). Mais quand même. Ce que j'avais écrit, je ne m'attendais certainement pas à ce que ça tombe trois semaines après.

Le texte original, donc :


Coup de tabac, 34e volume des Annales du Disque-Monde. "Vimaire's back", toujours réjouissant, au moins sur le papier, 'fin j'veux dire avant la lecture quoi. C'est pas que Pratchett tire à la ligne, c'est qu'il en vient à s'auto-caricaturer.

Depuis Au Guet !, on a connu Vimaire sauvant des animaux, des humains, des nains, des trolls, des agents, des civils, des femmes, des enfants, des villes, des golems, des pays entiers (de la guerre),... Mais là, une espèce entière, ça commence à faire un peu beaucoup.  : Les efforts conjugués de Vétérini et de Sybil envoient Vimaire en vacances à la campagne, à sa grande fureur. Oh surprise, sous les pâquerettes le flic décèle assez rapidement que ça sent le snouf, pour pas dire le crime contre l'humanité. Ou, en l'occurrence, la gobelinité.

Bon, déjà, le coup du peuple qu'on opprime et qui en fait est merveilleux sous des dehors peu sexy, Pratchett nous a déjà fait le coup dans Allez les mages !. Ensuite, le parallèle avec l'esclavage des Noirs américains (les gobelins sont vus comme des êtres inférieurs, affublés de tous les défauts, ont été pour certains kidnappés et vendus comme esclaves,...) est un peu lourd. Je dis pas que parler de vraisemblance au sujet du Disque-Monde soit intelligent, m'enfin là on se retrouve quand même dans un coin de campagne anglaise typique, qui serait arrosée par l'équivalent du Mississipi, et où se baladent des navires à roues à aube... . Enfin (et surtout), l'homme au grand chapeau noir réduit de plus en plus son héros à une caricature de lui-même, à ses cigares, sa mâchoire carrée. Vimaires est trop badass, puis pas assez, puis bof. Notre divisionnaire au morion finit par n'être qu'une collection de tics, lutte des classes et "Ténèbres qui convoquent". Le livre irrite doucement à cause de cela. Et puis bon, à telle ou telle page, le Sam' fout son poing dans la gueule à quelqu'un, et ça fait toujours du bien par où ça passe.

On sait tous que Pratchett a l’alza, que l’hiver vient et que l'eau ne va pas tarder à dormir, qu’il faudra bien que les annales s’arrêtent. Sauf « collaborateur », nègre plus ou moins avoué, ou repreneur indésirable, tirant sur la corde pour faire d'une oeuvre une "licence". Alors on profite, Lisons heureux en attendant la mort.



Terry Pratchett, Coup de Tabac, 2012 - Editions l'Atalante, 480 pages

Coup de Tabac, de Terry Pratchett, éditions l'Atalante, 480 pages, 21€.

mardi 17 février 2015

Lothar J. Seiwert - Du temps pour l'essentiel

Quand je dis "toutes choses lues", c'est vraiment "toutes choses lues", hein. pas que du roman, pas que du romantique, pas que du romanesque. D'où le billet d'aujourd'hui sur un livre d'organisation professionnelle, lu précisément parce que je voulais améliorer cette dernière. Dans mon cas, c'est pas du luxe. Je ne sais pas encore ce que je vais appliquer des différentes voies préconisées par ce livre, mais le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il y a de la matière.

L'auteur est parait-il une référence sur le sujet. Ah bon. S'il a écrit plusieurs bouquins au sujet de l'organisation professionnelle, celui-ci est un des plus anciens, mais une sérieuse base semble-t-il . Première édition allemande en 1984, une foultitude de ré-éditions. En France, la première éditions date de 1991, c'est celle dont je parle ici.

Chose très appréciable, dès le début du livre, l'auteur rappelle cette évidence : on n'a jamais assez de temps, et celui-ci s'enfuit et ne se rattrape guère... Si le fond du livre reste "Comment s'organiser au taf", ce préambule motive sacrément pour s'organiser afin de gagner du temps, qu'on le consacre au boulot ou à autre chose. Remarquez, peut-être que mon approche de la trentaine explique ma sensibilité à cet argument...

Le fond de la méthode est décliné en 5 chapitres, qui sont autant d'étapes à suivre pour bosser vite et bien :
- Détermination des objectifs
- Planification
- Prise de décision
- Réalisation et organisation
- Contrôle

A cela s'ajoutent une longue intro, un chapitre "Information et communication", un autre sur l'application dans la pratique et quelques pages d'"outro" sur 10 bonnes recettes à appliquer. Le tout couvre près de 300 pages, très denses, beaucoup de textes, de documents-types,... Avec une particularité : l'auteur s'adresse directement au lecteur, lui propose un "contrat d'utilisateur" et de nombreux tableaux, tests, listes, sondages... à remplir. Je ne suis pas fan du truc, et me suis donc abstenu (puis j'ai horreur de gribouiller sur mes livres), mais je pense que cela peut aider à prendre du recul sur ses pratiques et aussi à s'impliquer dans sa lecture, donc faire le premier pas vers l'application des techniques conseillées.

Le bouquin ne propose pas une technique d'organisation globale, comme peuvent le faire par exemple les méthodes d'Allen ou Covey sur le sujet, mais rassemble et synthétise différentes techniques : méthode NERAC, lecture rapide, priorisation façon Paretto et Eisenhower,... Avantage : même si c'est parfois un peu lourd, ce seul livre peut suffire à ré-organiser toute sa façon de bosser, sans qu'il soit besoin d'aller voir ailleurs. C'est très détaillé, un peu bourratif voir redondant (la partie sur la priorisation notamment) mais au moins cela suffit.

Ce qui me gène, comme pour toutes les méthodes d'organisation, c'est l'aspect "ultra-capitaliste" de la chose. Ca ne met pas en cause la qualité du bouquin, c'est juste qu'avec le côté "rentabilisation de chaque minute passée au taf", on a vraiment l'impression que l'on doit devenir un robot dévoué corps et âme à sa boite, ne vivant que pou cela, que la moindre pause-café est du vol vis-à-vis de l'employeur,... . Mais bon, c'est peut-être très français comme optique, et après tout, si votre employeur vous paye 35h de boulot, vous lui devez... 35h de boulot. La chose est peut-être plus perceptible ici que dans la méthode GTD, qui peut être appliquée à tous les aspects de votre vie (si vous êtes un robot). Avec l'ami Lothar, on est quand même plus axé "cadre en entreprise", même si certains aspects peuvent être appliqués à toute situation professionnelle.
Qui plus est :

- On n'ouvrirait pas ce genre de bouquin si on ne voulait pas s'améliorer au taf (ce qui est mon cas).
- L'optique de l'auteur, "gagnez du temps pour l'essentiel", laisse entendre que le taf peut ne pas être essentiel et qu'améliorer son efficacité pro, ce peut être aussi pour se con sacrer davantage à sa famille, ses loisirs,... .
- Les remarques de l'auteur sont quand même pertinentes : le temps nous est compté, à tous.

Deux remarques pour finir :

1) Le bouquin date un peu, donc la prise en compte des ordis, d'internet,... n'est que peu ou pas exploitée. En même temps, à peu près tous les conseils sont valables pour toutes les situations, encore aujourd'hui (coup de fil, courriers, réunions, organisation et optimisation du temps, anticipation,...). Ce point n'est donc pas handicapant du tout.
2) L'auteur semble synthétiser pas mal d'autres sources (notamment allemandes), mais le livre est très antérieur aux méthodes d'organisation comme GTD, ZTD,... qui peuvent donc être des compléments pertinents si vous voulez réellement mettre TOUTE votre vie au carré.

Intéressant à lire, donc, si vous êtes dans l'optique adaptée.



Lothar J. Seiwert, Du temps pour l'essentiel, 1991, éditions d'organisation - 334 pages


PS 1 : Le bouquin se trouve très facilement d'occase, et même s'il date, c'est du costaud, papier comme contenu. Par ailleurs, Seiwert a écrit pléthore d'autres livres traduits en français, sans doute modernisés (point de vue NTIC), axé toujours efficacité pro ou équilibre vie pro/vie perso)

PS2 :Perso, je me suis bien gardé d'appliquer la méthode de lecture rapide proposée, comme je les ai toujours fui durant mes études. C'est crétin, mais j'ai toujours eu peur que cela devienne un automatisme, y compris durant mes lectures de loisir, et que cela m'empêche in fine de goûter le talent, et surtout le style des auteurs lus (Chirbès,...). C'est sans doute irrationnel, mais dans le doute, je m'abstiens.

dimanche 1 février 2015

Simenon - La mort de Belle

Allez, un petit Simenon en ouverture. Comme d'hab' avec le père de Maigret, on hésite entre le roman et la très grosse nouvelle. La simplicité, la lenteur de l'intrigue donnent l'impression trompeuse de la nouvelle, le nombre de pages ramènerait plutôt au roman. Spencer Ashby, quadragénaire américain, se retrouve accusé du meurtre de la fille d'une amie de sa femme, étranglée dans sa propre maison, alors qu'il était à quelques mètres de la victime. Il est suspect n°1, et même s'il fait face, plus ou moins, choses et gens autours de lui commencent à se déliter, à changer par bribes.

La mort de Belle, c'est, doucement, une pièce en 4 actes : avant le crime, après le crime, "après après" le crime, puis "outro" et fin. Simenon prend le temps de poser personnages et situations, son héros, surtout, pour qui l'on se prend d'amitié pour chaque détail de ce qu'il est. Parce qu'il est prof serein, fumeur de pipe, mari-ami, menuisier amateur, et parce qu'il s'accorde un nombre fixe de scotch & soda chaque soir. Et, autours de lui, la fidélité hésitante, ou le doute in fine, ou la veulerie des autres. Les rapports aux femmes qui se créent ou évoluent. Comme très souvent chez Simenon, un événement fait sortir de ses rails bien tracés la vie d'un personnage plus ou moins commun. Et le roman expose comment ce personnage retrouve (ou pas) les rails de cette existence. Ou réalise son destin, trouve une fin logique (voir La veuve Couderc, par exemple).

Un bon Simenon, que l'on aime ou pas la fin, mais fin et mesuré, doux plutôt que lent dans sa progression. Le tout dans l'ancienne édition moche et rassurante de l'intégrale Simenon aux Presses de la Cité.





La mort de Belle, 1951 in Tout Simenon tome 6, éditions Presse de la Cité 1989 - 100 pages.